Vous avez peut-être eu la chance de visiter Perseigne il y a quelques années avec Place Publique et de découvrir les réhabilitations effectuées de 1977 à 1983 dans ce quartier.
Les élus de cette époque affichaient clairement leur volonté de rendre le pouvoir aux habitants pour qu'ils réhabilitent leurs logements selon leurs besoins et leurs envies, qu'ils s'approprient leurs espaces publics, qu'ils remodèlent le quartier à leur image.
Sans Lucien Kroll, qui a été l'architecte coordonnateur des réhabilitations de Perseigne de 1978 à 1982, tout cela n'aurait été que paroles en l'air. Il a été celui qui a démontré concrètement qu'il était possible de remodeler les immeubles et les espaces extérieurs, qu'il était possible de respecter la vie existante, de « remolir » sans démolir, qu'il était possible de rendre son humanité au quartier tout entier.
Et cela a donné le parc urbain de Perseigne, le Collège ouvert Louise Michel, les Buttes et les maisons sur le toit de l'avenue Kennedy, des jardins en pieds d'immeubles et, par la suite, a entraîné d'autres transformations avec d'autres intervenants :'immeubles HLM, enrichis de balcons et de vérandas rue Lamartine, rue Paul Claudel, Georges Sand, Anatole France, des fresques et des ajouts ici là s'ajoutant aux graphes d'habitants artistes... .
Alors qu'à Alençon, les responsables politiques et les gestionnaires HLM tournaient le dos à ces pratiques - allant jusqu'à en détruire les traces lors des démolitions massives de l'ANRU des années 2000 - Lucien Kroll poursuivait inlassablement sa route, gardant systématiquement la vie des habitants au cœur de son architecture, avec une audace et un talent hors du commun.
Ce travail reconnu depuis longtemps au niveau international commence enfin à l'être en France avec le concourt en particulier de Patrick Bouchain, grand prix de l'Urbanisme 2019. Après une exposition remarquable à Nantes en 2013, on a pu le retrouver à la Cité de l'architecture & du patrimoine - Palais de Chaillot à Paris en 2015 et tout récemment au Pavillon de l'Architecture à Caen, malheureusement en plein confinement du 20 mars au 30 août 2020.
Les journées du patrimoine européen nous offrent l'occasion de découvrir dans le quartier de Perseigne à Alençon, une des rares réalisations de Lucien Kroll en France, d'autant plus précieuse qu'elle a été sa première expérimentation de transformation d'immeubles d'habitations de l'architecture standardisée des années 60.
Précieuse également car elle garde la mémoire de l'action des habitants du quartier de Perseigne. Il ne s'agit pas d'une curiosité architecturale mais d'une construction faite à partir des aspirations des habitants exprimées de façon très forte dans les années 70 quand ils s'opposaient à de nouvelles constructions et au cours des multiples consultations organisées par la ville avec Jean Jacques Argenson, urbaniste installé à plein temps au cœur du quartier en 1977.
Lucien Kroll ne revendique pas autre chose que la traduction des désirs des habitants à un moment de leur histoire, «... une histoire, dit-il, qui a commencé bien longtemps avant mon arrivée et qui continuera encore bien longtemps après mon passage... ». Ce bâtiment est là pour témoigner de cette pratique, encourager les habitants à rêver à d'autres manières d'habiter, leur montrer qu'il est possible de transformer leurs propres appartements selon leurs besoins, les encourager à revendiquer leur diversité, apprendre à chacun à respecter des manières différentes d'habiter et démontrer aux décideurs qu'il peut exister d'autres façons de concevoir la ville.
Nous vous donnons rendez-vous les 19 et 20 septembre pour les journées européennes du patrimoine .
(*) Le blog de Place Publique a conservé les images du Perseigne d'avant les démolitions massives des années 2000. Vous pouvez les revoir dans les rubriques« Perseigne » et « Alternatives urbaines » des ballades alençonnaises, ci-contre.
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